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Décès d'un collectionneur royal de véhicules militaires (2017)

  Jan. 9, 2017, 1 a.m. par scwall
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Michel et Anne de Roumanie avec leur Bantam 40BRC au cours de "Normandie 1989". © Alain HENRY de FRAHAN

 

L'ancien roi Michel de Roumanie, descendant de la dynastie des Hohenzollern-Sigmaringen, est décédé le mardi 5 décembre à l'âge de 96 ans. Il a ainsi tourné une page tragique de son pays au 20ème siècle, impliqué dans la 2ème Guerre mondiale puis oppressé par la dictature communiste incarnée par Nicolae Ceaucescu. Atteint d'un cancer et d'une leucémie, Michel de Roumanie est décédé chez lui à Aubonne, en Suisse, où il était revenu en 2016 pour être soigné.

Cet arrière-arrière-petit-fils de la reine Victoria était, avec le roi Siméon II de Bulgarie, l'un des deux derniers survivants parmi les chefs d'État de la Seconde Guerre mondiale. Né le 25 octobre 1921 à Sinaïa (dans les Carpates, au sud de Brasov), Michel 1er a régné deux fois : entre 1927 et 1930, puis entre 1940 et 1947, lorsqu'il a été contraint d'abdiquer et de s'exiler par le nouveau pouvoir communiste. Cet  exil a marqué la fin de la monarchie pour ce pays balkanique.

Grand et mince, aux yeux bleu clair et à l'allure aristocratique, l'ex-roi nourrissait depuis longtemps le rêve de servir à nouveau son peuple et de remonter sur le trône. Il s'est résigné à l'idée que « personne ne peut faire un miracle » après que les autorités post-communistes lui aient fait part de leur refus de le voir revenir au pays après la chute de la dictature, fin décembre 1989.

Un couple royal de collectionneurs de Jeep !

D'abord placé sur le trône à l'âge de 5 ans en 1927, Michel 1er doit le céder à son propre père, Carol II, après trois années de régence. Choyé par sa mère, Hélène de Grèce, et tenu à l'écart de la vie publique par son père, il est de nouveau appelé au trône le 6 septembre 1940, à l'âge de 19 ans, par le maréchal pro-nazi Ion Antonescu, qui contraint Carol II à l'exil. Ayant été informé de la passion du jeune roi pour les véhicules, Hitler lui fait offrir une BMW R61, une VW 82 Kübelwagen et même un semi-chenillé Demag D7 (Sd.Kfz.10), histoire de le cantonner à un rôle de marionnette occupée à jouer avec divers engins. En 1942, il reçoit aussi une Ford GPW prise aux Soviétiques sur le front de l'Est et amenée au souverain par un ami officier roumain ; cette Jeep disparaît plus tard, sans que l'on sache ce qu'elle est devenue. De là sa passion pour la Jeep. Le jeune roi change progressivement : à partir de 1943, avec quelques membres du gouvernement, il prend secrètement contact avec les Alliés. Il parvient à faire arrêter le "Conducator" Antonescu le 23 août 1944, un acte qui permet in extremis à la Roumanie de rejoindre le camp allié avant la capitulation des forces de l'Axe. Cela lui vaut incidemment un cadeau personnel de la part d'un G.I. de la Commission de Contrôle Alliée de l'Armistice, un peu trop enthousiaste, en décembre 1944 : une Ford GPW qui n'affiche qu'un millier de miles au compteur ; le roi pouvait choisir entre cette Ford et une Willys MB - dont il découvre l'existence du constructeur - mais il a préféré la Ford car il en avait déjà possédé une. Ce cadeau est ensuite formalisé pour qu'il émane officiellement du gouvernement des Etats-Unis.

Alors que le pays devient un satellite de l'Union soviétique, le roi est obligé d'abdiquer le 30 décembre 1947 et de s'exiler... avec sa BMW R61 et quatre véhicules, dont sa Ford GPW, sans aucun autre bien ni richesse : les communistes l'ont exilé sans qu'il puisse emporter ni argent, ni meubles, ni quelque autre possession. Réfugié en Grande-Bretagne, il épouse, le 10 juin 1948 à Athènes, la princesse Anne de Bourbon-Parme. Celle qui devient reine en exil a un passé de guerre plutôt remarquable : arrivée au Maroc en 1942, à l'âge de 19 ans, elle s'est engagée parmi les ambulancières de la France libre, que l'on surnommait les "Rochambelles", puis, avec la 1ère Division blindée commandée par Jean de Lattre de Tassigny, elle a fait la campagne d'Italie puis d'Allemagne jusqu'à Stuttgart, tout cela au volant d'une ambulance Dodge WC54. La conduite de véhicules américains aura certainement procuré d'emblée un centre d'intérêt commun au couple qui aura cinq filles.

Le couple royal vit d'abord en Angleterre, dans une ferme mise à disposition par la famille royale. Il lance un élevage de poules. Oui, les premières années sont vraiment difficiles, vécues très modestement. Mais le Roi n'est pas homme a subir les événements ! Il exerce divers métiers dans l'industrie automobile, aéronautique, électronique, et l'immobilier. Il obtient son brevet de pilote et donne des cours, ce qui va réorienter la vie du couple.

Après l'Angleterre, Michel et Anne de Roumanie s'installent en Suisse où l'ex-roi devient représentant de la branche suisse de Lear Inc. pour laquelle il se spécialise dans l'installation d'équipements sophistiqués, tout en continuant à piloter.

Passionnés par la Jeep, la reine et lui deviennent des collectionneurs actifs et acquièrent d'autres Jeep, la reine souhaitant même s'acheter un Dodge, en souvenir de son service parmi les Rochambelles. Une Willys MB (n° de série 367164, immatriculée 20633216) a une provenance prestigieuse : il s'agissait d'un cadeau du Général George Patton au Grand-Duc Jean de Luxembourg (une plaquette de cuivre, rivée sur le tableau de bord, atteste de ce don); le Grand-Duc l'offrira ultérieurement au Roi Michel (elle nécessitait une restauration absolument complète, signe d'une utilisation intense par le Grand-Duc Jean). Le couple achète notamment deux Jeep à  Hake, un collectionneur de Tipton, au Kansas : une Bantam 40BRC et une Ford GP que, avec l'aide de son épouse ainsi que de Michel et Patrice Lude (MVCG Swiss Romand et MVPA), il entretiendra minutieusement. Le roi et la reine, tous deux devenus membres du MVCC transformé en MVPA, enregistreront chacun plusieurs Jeep sous leur nom propre. Avec plusieurs de leurs Jeeps, ils participent à de nombreuses activités en Suisse, en Hollande (où Richard Beddall lui fera rencontrer Bart Vanderveen, le regretté rédacteur en chef du tout naussi regretté magazine Wheels & Tracks) et en Normandie. André et Yvette Witmeur les ont rencontrés plusieurs fois, d'abord en Hollande au cours du rallye "The Tulip Way" (leur fils William, alors âgé de quatre ans, est pris d'affection par la Reine) puis en Suisse lorsqu’ils participaient aux Swiss Tours successifs, et en Normandie. L'auteur de ces lignes aura le grand plaisir de les rencontrer plusieurs fois au cours de "Normandie 89". Les souverains se font alors modestement appeler « Monsieur Michel » et « Madame Anne ».

Retour en Roumanie

Après la chute du dictateur Nicolae Ceausescu à la fin décembre 1989 (l'auteur de ces lignes était à bord du premier C-130 Hercules belge posé à Sibiu, le 5 janvier 1990), l’ex-roi Michel tente à plusieurs reprises de retourner dans son pays natal mais se heurte au refus catégorique du nouveau président Ion Iliescu - un ancien dirigeant communiste opportuniste et "peu clair" - qui l'accuse mensongèrement de « saper le régime républicain ». Le couple royal doit attendre la fin de l'année 1996 pour que les démocrates-chrétiens lui permettent de reprendre la citoyenneté roumaine et de visiter plus souvent le pays.

En 1997, lorsque Bucarest entame de gros efforts diplomatiques pour rejoindre l'OTAN et l'Union européenne, l’ex-roi s'engage à œuvrer comme « avocat de la Roumanie auprès des monarchies européennes ». Le gouvernement roumain lui restitue plusieurs anciennes propriétés royales qui lui avaient été confisquées par le pouvoir communiste. Le couple royal y rapatrie certaines de ses Jeep.

En 2002, après s'être rapproché des sociaux-démocrates, l'ex-roi s'installe dans la capitale roumaine où il mène une vie discrète, ne faisant que de brèves apparitions en public, toujours saluées avec respect, admiration et nostalgie. En 2011, à l'occasion de son 90ème anniversaire, il sort de sa réserve lors d'un discours devant le Parlement, où il dénonce « la démagogie et le désir de s'accrocher au pouvoir » caractérisant les politiciens en place. Aux critiques qui l'accusent d'avoir passé un marché avec la gauche qui l'avait dans un premier temps empêché de rentrer en Roumanie, l’ex-roi répond : « Depuis plus de 60 ans, j’ai toujours été seul dans des moments cruciaux ! Je pense qu'il n'y a personne au monde qui ait le droit moral de me demander des comptes ! ». En 2012, son état de santé n'est déjà plus brillant et son audition déficiente est parfois délicate à gérer ; ainsi, détail amusant, la Reine siffle parfois entre ses doigts pour attirer son attention ! En mars 2016, il annonce son retrait de la vie publique au profit de sa fille aînée Margareta, alors âgée de 66 ans. Le décès de sa fidèle et courageuse épouse survient en août de cette même année. Il achève sa vie dans la discrétion qui l'aura caractérisé depuis si longtemps...

Alain HENRY de FRAHAN, avec Reginald HODGSON (MVPA, rédacteur en chef d'Army Motors), André WITMEUR (président du BMVT), Pierre IZARIÉ (MVPA), Richard Beddall (MVT) et, à titre posthume, Bart VANDERVEEN (défunt rédacteur en chef de Wheels & Tracks)