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" Debout ! Accrochez ! " Un membre du BMVT saute d’un C-47 sur la Normandie.

  June 5, 2019, 7:27 a.m. par francis
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Philippe PITTON

 

Passionné par les unités parachutistes de la deuxième guerre mondiale depuis de nombreuses années et les ayant à maintes reprises représentées lors de reconstitutions historiques, il était temps pour moi de faire le grand saut pour de bon.

Courant 2018, ma décision était prise : j’allais passer ma qualification de parachutiste avec voilure militaire ancienne (ronde, pas rectangulaire). Cette formation n'existant pas en Belgique, je pris mes renseignements pour l'effectuer à l'étranger. La Hollande ou la France étaient la solution la plus simple pour moi. Malheureusement, les effectifs de toutes les formations étaient déjà complets et j'allais devoir attendre 2019 pour la passer, année qui serait celle du 75ème anniversaire de la libération de l’Europe de l’Ouest, avec toutes les grandes commémorations que l'on connaît. Autant dire que les choses allaient plutôt bien s'enchaîner !

 

Fin 2018, je rejoignais les rangs du Pathfinder Parachute Group, une association internationale initialement anglaise représentant les parachutistes britanniques lors des sauts commémoratifs. Au début mai 2019, je me retrouvais au centre d’entraînement pour parachutistes établi sur l’aérodrome de Teuge, en Hollande, pour une formation d'une semaine comprenant les cinq sauts de qualification imposés pour l’obtention du brevet de parachutiste. Accompagné de deux amis dont Nicolas Jourdain (BMVT), j’en suis sorti quelques jours plus tard, tout sourire et en un seul morceau, breveté parachutiste sur voilure militaire à ouverture automatique. Sauter d'un Cessna 208, c'est sympa. Mais mon objectif était de sauter d'un C-47 Skytrain/Dakota, le type d’avion qui largua tous ces héros il y a 75 ans. Pour cela, la solution qui s'offrait à moi n'était pas compliquée : c'était la Normandie le mois suivant. La Normandie... Le premier plus grand débarquement de l'histoire au cours duquel 10.000 parachutistes alliés furent largués depuis des centaines de C-47. Waouw ! Pouvoir sauter lors des commémorations du D-Day serait un rêve qui se réaliserait. De plus, cette année 2019, on annonçait que 18 C-47 et DC-3 traverseraient l’Atlantique depuis les Etats-Unis et le Canada pour se joindre à 14 Dakota basés aux quatre coins de l’Europe et même un Lisunov Li-2, copie soviétique du C-47, basé en Hongrie, et effectuer de nombreux parachutages sur la Normandie !

Après quelques échanges d’e-mails, c'est officiel : mon saut en Normandie est programmé pour le 7 juin. Deux Dakota de l’association Aero Legends serviront aux parachutages de mon groupe. Il reste à patienter en attendant le grand jour... 

 

Le 1er juin, départ pour la Normandie avec, comme destination, la batterie d'artillerie de Merville, au sud de Caen. L'attaque de la Batterie de Merville par les parachutistes britanniques du 9ème Bataillon est l’un des plus hauts faits d'armes accomplis par les parachutistes alliés la nuit du 5 au 6 juin 1944. Pour l'occasion, je passerai la semaine des commémorations là-bas avec un groupe de reconstitution sur le thème des paras britanniques, évidemment. Le 4 juin en soirée, briefing pour l'ensemble des parachutistes du Pathfinder Parachute Group. Nous y apprenons que notre zone de saut (DZ, Drop Zone) sera constituée par des champs qui bordent le village de Sannerville, une DZ britannique historique du débarquement ! Inespéré ! Décidément, les choses tournent vraiment bien et j'en suis ravi !

La météo normande de ce début du mois est assez clémente et les différents parachutages des 5 et 6 juin se déroulent sans problèmes. Dans quelques heures, ce sera mon tour.

 7 juin. Mon Jour-J est enfin arrivé ! 5h20 : mon réveil sonne. Un rapide coup d'œil sur la météo du jour, et là, c'est le drame : avis de tempête sur la Normandie, avec des vents annoncés jusqu’à 100km/h. On ne saute pas. Catastrophe ! Une petite heure plus tard, j'arrive à notre base d'opération. L'info est claire : tous les parachutages du jour sont annulés. Notre président va tenter d'obtenir les autorisations pour reporter notre saut au jour d'après mais aucune garantie ne peut être donner à ce stade. Nous serons informés dans la soirée. Cette journée du 7 est longue, très longue. Vers 20h, l'info arrive enfin ; nous avons le feu vert des autorités pour reporter notre saut au 8 juin. Ouf ! Espérons que, cette fois, les conditions météos seront bonnes.

Le 8 juin, dans le courant de la matinée, nous arrivons, parachute en main, à l'aéroport de Caen Carpiquet où sont stationnés une vingtaine de Dakota.  Du jamais vu depuis 1944 ou 1945 ! Nous avons l'ordre d'attendre car le vent est encore trop fort mais une accalmie devrait se produire dans la journée. Alors nous attendons, encore et encore, les yeux rivés sur la manche à air qui indique la force et la direction du vent de la piste d'envol. Une attente qui dure 9 heures ! Une éternité à endurer avec la crainte de voir ce saut à nouveau annulé sans plus de possibilité de report. Mais cette fois est la bonne car le vent s’apaise. En fin d’après-midi, les jumpmasters arrivent et nous donnent l'ordre de nous équiper rapidement. Le premier de nos C-47 arrive devant nous. Le premier groupe d'une vingtaine de parachutistes embarque. Au bout de quelques minutes, ce vieil oiseau toujours aussi majestueux s'envole. « Good luck, guys ! » leur crient la plupart d'entre nous...

Après une brève attente, un deuxième C-47 taxie doucement jusqu'à nous. Je n'en crois pas mes yeux : ce Dakota est magnifiquement repeint aux couleurs de la Royal Air Force, avec ses bandes du Jour-J. Ce n’est pas un appareil aux couleurs de l’US Army Air Force. C’est merveilleux : je vais donc m'envoler en uniforme de para britannique, dans un C-47 aux couleurs britanniques pour sauter sur une authentique drop zone britannique, tout ça au 75ème anniversaire du Jour-J. Pour moi, c’est plus qu'extraordinaire ! Pour le largage, notre groupe sera divisé en deux sticks de douze paras. L'avion larguera le premier stick puis effectuera une boucle avant de parachuter le deuxième stick. Notre jumpaster vient diviser le groupe juste avant l'embarquement et je me retrouve premier de du second stick. Je serais donc le premier à la portière lorsque ce sera à notre tour ! Premier étant la meilleure des places, ce saut s'annonce vraiment très bien.

 

Quelques minutes plus tard, je me trouve dans ce magnifique appareil baptisé "Jumbo express" et dont l’intérieur est exactement identique à celui d'origine. Je suis assis face à la porte qui est grande ouverte en vue du largage. Notre appareil taxie vers le début de la piste où il effectue son point fixe pour s’assurer du bon fonctionnement de ses deux Pratt & Whitney R-1380 Twin Wasp de 1.200cv chacun. Le grondement de ces moteurs lancés l’un après l’autre à toute puissance émet une symphonie magnifique.

Quelques secondes plus tard, me voici dans le ciel normand, voyant par la portière toutes ces campagnes et petits villages qui connurent l'enfer de la bataille 75 ans plus tôt. Bientôt, le voyant rouge qui se trouve devant moi devient vert. « Stand up ! » : le jumpmaster crie au stick n°1 de se lever. « Hook up ! ». Le stick se lève comme un seul homme et chaque para accroche le mousqueton de la static line (sangle d’ouverture automatique du parachute) au câble qui parcourt le plafond d’un bout à l’autre de la carlingue. Un autre cri pour donner l'ordre de faire un dernier contrôle visuel du parachute de l'homme qui précède : « 12 OK ! 11 OK ! 10 OK ! 9 OK !... 1 OK ! »

 Le jumpmaster, la tête à l’extérieur de l’avion, guette la zone en approche puis fait un geste de la main signalant au numéro 1 du stick de venir se mettre en position, prêt à sauter. Un court instant de silence, le jumpmaster fait un pas en arrière, donne une grosse tape dans le dos du n°1 et crie « Go ! Go ! Go ! ». En moins de 10 secondes, tout le premier stick a disparu de l'avion. Impressionnant !  Le prochain para qui se jettera de « Jumbo Express » sera moi. La tension monte d'un cran... Notre avion entame une large boucle pour venir se placer dans le même axe de vol.

 La scène recommence: « Stand up! Hook up! Count ! ». « 12 Ok ! 11 Ok ! 10 Ok ! ». Une tape sur l'épaule du para dernière moi et je crie « One OK ! » Ma main gauche tient la static line ; je ne quitte pas le jumpmaster des yeux. Quelques courtes secondes passent puis je reçois le signe d'avancer à la portière et de me tenir prêt. Je pense rapidement à tout ce que j'ai appris pendant ma formation quand, soudain, je vois que nous arrivons au-dessus de la DZ que j'étudie sur carte depuis plusieurs jours ; je la reconnais. On y est, je m'apprête à vivre l'un des moments les plus intenses de ma vie.

Et le jumpmaster crie « Gooooo ! ». Je me propulse énergiquement hors de l’avion en jetant ma jambe droite dehors, et exactement comme on me l'a appris. Je me fais littéralement aspirer hors de l'appareil. L’empennage de « Jumbo Express » passe juste au-dessus de moi. Je serre les bras sur mon parachute de réserve et j'entame la procédure en criant : « One thousand, two thousand, three thousand, four thousand, check canopy ! » (Ce comptage correspond aux 4 secondes nécessaires à l’ouverture automatique du parachute) et je lève la tête pour vérifier que tout est OK. C'est sous une belle voilure que, comme dans un rêve, j'entame ma descente vers le sol normand.

Je cherche des yeux le fumigène allumé par l'équipe au sol qui nous indique le sens du vent. Je le repère rapidement. Grâce aux élévateurs directionnels que nos parachutes militaires possèdent (deux cordons fixés à des câbles de commandes qui agissent sur l’ouverture de la voilure pour l’orienter), je me tourne face au vent. Deux petites minutes plus tard, je me pose en douceur sur le plancher des vaches, heureux comme un enfant qui vient de recevoir le plus cadeau de Noël dont il puisse rêver ! Quelle expérience fantastique je viens de vivre !

 Après avoir rangé ma voilure et son harnais dans le sac de transport, je me dirige vers la zone de rassemblement où les navettes viennent nous chercher pour le retour à notre base opérationnelle, en l’occurrence le gymnase du village de Troarn. C’est évidemment un groupe euphorique que je retrouve pour échanger nos impressions et quelques photos souvenirs. Le côté moins amusant commence avec le repliage des parachutes mais ça, c'est une autre histoire…

Ce premier saut commémoratif restera gravé à jamais dans ma mémoire. C'est une expérience incroyable qui ne peut être comparée à autre chose. J’ai une seule envie en tête : vivement le prochain ! Rendez-vous le 7 septembre dans le Limbourg pour un nouveau saut dédié à l'opération Caliban menée par des SAS belges en septembre 1944. Cette fois, grande classe, notre C-47 sera escorté par un Spitfire ! Puis ce sera le saut sur Arnhem, quelques jours plus tard...